vendredi, décembre 31, 2010

Idolâtrie

Idolâtrie

Tous les hommes sont fétichistes, les uns de l'estime, les autres du prestige et la plupart de leur désir.


David flânait calmement entre les étagères de la petite boutique d'antiquités nouvellement ouverte près de chez lui. De retour après une longue journée au bureau, il s'était arrêté à cet endroit qui se trouvait sur son chemin. Il aimait bien les trucs qu'on y trouvait, des petits trésors qu'on ne peut trouver nul part ailleurs. La boutique était plutôt petite, plusieurs habitants du coin étaient heureux de voir ce nouveau commerce. Cela faisait différent des commerces déjà existants depuis de nombreuses années. Il y avait quatre hautes étagères et même un coin "meuble et électroménager". David parcourait d'un regard curieux, chaque objet, chaque étagère avide de mettre la main sur un truc qui lui plairait. Il aimait regarder et posséder des objets anciens utilisés par des gens, il y a plus de quarante ou cinquante ans.

Ses recherches semblaient banales, chaque chose était plus ennuyante que la précédente, puis il l'aperçut. C'était comme si tout ce qui l'entourait, disparaissait pour lui donner une splendeur sans limite. Une petite figurine! Elle devait faire quinze ou vingt centimètres de haut, fait d'une pierre vermeille et lisse. La figurine représentait une femme aux traits enchanteurs, au corps élancé et luxurieux, elle avait de longues jambes et un visage d'une beauté et d'un éclat mythique. Ses doigts étaient étrangement longs et curieusement n'avait que trois doigts, pas de pouce, deux fois long comme ceux d'un humain et le doigt central devait avoir trois fois la taille normale. Elle avait de très longs cheveux adroitement sculptés qui tombaient jusqu'à sa taille. Elle était nue et chaque trait féminin avait été travaillé avec soin.

David s'approcha lentement et scruta la figurine quelque second, jusqu'à ce qu'une vielle dame vint lui parler.

"Trois dollars", dit-elle d'une voie pâteuse.

David se redressa le dos et considéra la dame.

"Cinq dollars, vraiment?"

La vielle hocha la tête.

"C'est quoi cette figurine?" demanda David.
"C'est Roxanne." dit la dame. "C'est monsieur Langelier qu'il l'a ramené d'un de ses nombreuses excursions. C'est une déesse d'un peuple de sauvage ou un truc du genre."

Fortement séduit, David demanda. "Où puis-je trouver ce monsieur Langelier, s'il vous plait ?"
"Cela sera compliqué, vu que monsieur Langelier à été tué par son épouse."
David haussa les sourcils, surpris. "Mon dieu, c'est horrible."
"Au tribunal, elle a été accusée d'avoir empoisonné son mari parce qu'elle avait découvert que son mari avait une maîtresse."
"C'est vraiment navrant. Enfin, j'aimerais bien acheter cette figurine."

David fouilla dans la poche intérieure de son veston et attrapa son porte-monnaie. Il en sortit trois dollars qu'il remit à la dame, visiblement heureuse d'avoir fait une vente. Ils se saluèrent gentiment et chacun prit sa direction. Pour David, il prit la direction de sa voiture, tandis que la dame se rendit à l'arrêt de bus non loin de la boutique. Sur le chemin du retour, il se disait qu'il aurait pu offrir à cette dame de la déposer chez elle. Il continua sa route, la figurine sur le siège passager, et retrouva son appartement du plateau Mont-Royal. David ne travaillait pas à Montréal, tous les jours il devait faire un trajet de quarante de minutes pour se rendre à son travail, mais cela ne le gênait pas, pas pour vingt-cinq dollars de l'heure. En entrant, David fut accueillit par sa charmante copine, qu'il embrassa dès son arrivée.

Marie-Anne, sa copine, lui rendit tendrement son baiser, puis remarqua la statuette. Aussitôt Marie-Anne recula d'un pas et considéra le truc, avec une grimace bizarre.
"Qu'est-ce que cette atrocité?" demanda Marie-Anne.

David déposa la statuette sur la table de la cuisine et vida ses poches, comme il le faisait chaque soir en revenant du travail.

Elle c'est Roxanne, je l'ai trouvé dans la nouvelle boutique d'antiquités. Elle ne m'a coûté que trois dollars.

"Trois dollars? Pour deux dollars de plus, j'aurais pu nous trouver un bon dvd et passer une soirée romantique." se moqua Marie-Anne.
"J'aurais dû me douter que je sois le seul à apprécier cette beauté."
Marie-Anne se sentit mal à l'aise. "Pardonne-moi mon amour, je ne voulais pas t'offusquer. Je nous ai mijoté un bon repas, assieds-toi que je t'amène ton plat."

C'est dans un silence presque mystérieux que se déroula le repas. David regarda Roxanne ne sans relâche. Il examina et fut intrigué par ses traits si fin, si précis. Plus il l'observait plus il remarquait de nouvelle chose, qu'il n'aurait jamais découvert. Il remarqua un tatouage à l'intérieur de la cuisse droite de la statuette, un symbole inconnu pour David. Il continua ses recherches jusqu'à ce que Marie-Anne s'adresse et lui dit d'une voix rude.

"J'ai compris, je m'en vais. On se reverra quand tu auras un peu de temps, quand tu voudras faire autre chose, que de contempler cette stupide statuette."

David se leva brusquement et suivit sa copine dans l'entrée.

"Marie-Anne, ne pars pas, je n'ai pris que quelques minutes pour regarder ce que j'avais acheté et…"
"Quelques minutes!?" répéta Marie-Anne. "David il est vingt et une heures trente!"

Puis Marie-Anne claqua la porte, son manteau en main. David retourna au salon et fixa l'horloge sur le mur. Il était vraiment vingt et une heures trente. Déjà trois heures! Bah! Je ne suis pas besoin de permission. J'ai le droit de faire ce que je veux. pensa-t-il. Puis sur cette pensée David alla prendre sa douche, se brossa les dents et s'étendit sur le sofa pour s'endormir comme il le faisait toujours quand Marie-Anne ne dormait pas chez lui.

Au réveil, David s'apprêta pour aller au travail, la routine quoi! Il s'habilla convenablement et reprit ses objets personnels qu'il avait déposés sur la table hier soir, et les remit dans les poches de son pantalon.

Avant de partir, il lança, sans se rendre compte. "À ce soir Roxanne." Et referma la porte derrière lui.

La journée fut comme toutes les autres, sinon il prit quelques minutes de sa pause, pour appeler Marie-Anne et s'excusa pour sa réaction d'hier. Il lui proposa de l'inviter au restaurant et ensuite de passer la soirée, étreints sur le canapé à écouter de la musique classique ou à regarder un bon film, ce qu'elle accepta aussitôt.

Le soir venu, avant de retourner chez lui, David se rendit chez Marie-Anne, qui vivait encore chez ses parents et l'amena au restaurant de son choix, Fleur de Lotus. Le repas fut sans pareil et le vin pimenta le charmant couple, si bien qu'ils décidèrent de quitter plus tôt.

En entrant dans l'appartement, Marie-Anne et David arrivaient à peine à se contrôler! Ils se ruèrent jusqu'à la chambre et sans cérémonie se déshabillèrent et David sauta sur Marie-Anne comme s'il était sous l'emprise d'une entité aux pratiques sexuelles peu courantes. Tous deux s'embrassaient avec une passion sans borne, puis quand ce fut le moment, Marie-Anne fut surprise de constater que son partenaire ne semblait plus près à passer à l'acte. Il perdit toute sa vitalité. Il passa de bête sauvage à homme frigide, sa perte de libido l'a surprise, et l'a vraiment troublée.

"Ça va chéri?" demanda-t-elle.
"Oui" répondit-il mal à l'aise. "Je ne comprends pas, je…"

Marie-Anne ne semblait pas comprendre non plus.

"C'est la première fois que ça m'arrive, Amy."
"C'est moi? À cause de notre dispute d'hier?"
"Non! Bien surs que non. Je ne comprends pas."

Marie-Anne se releva rapidement, puis s'habilla. David aperçut une larme qui coulait sur la joue de sa copine. Aussi, il ne prit qu'une couverture pour se couvrir, et il la suivit.

"Marie-Anne! Je te jure que c'est pas toi, c'est peut-être le vin ou..."

Un peu enivrée peut-être, Marie-Anne réagit rudement en fronçant les sourcils et ferma, derrière elle, la porte, de toutes ses forces. Bon dieu! Qu'est-ce que j'ai bien pu faire au bon Dieu pour que ça m'arrive? pensa David. Il prit place à la table de la cuisine et posa sa tête entre ses mains. Son regard tomba sur Roxanne. Enfin une qui ne me criera pas dessus. se dit-il. David attrapa lentement la figurine et la contempla encore. Si belle et si parfaite, jamais il n'espérait voir une telle beauté chez une femme normale. Dommage que tu sois de pierre, je t'aurais volontiers invité à sortir! se dit-il. Puis il caressa la figurine du bout des doigts, comme si cela fut presque défendu.

David se releva d'un bond, retourna se doucher puis se lava les dents. Une fois encore il se prépara à passer la nuit sur le sofa. Au moment de prendre place, David se leva, alla chercher sa statuette et la posa sur la table basse devant son canapé et s'endormit ainsi, les yeux posés sur sa jolie statue.

Le matin venu, il se releva et comme à tous les jours depuis des années, il se rendit au travail. Il téléphona une fois de plus à Marie-Anne dans l'espoir de l'amadouer et pour lui affirmer qu'elle n'avait rien à voir avec son problème érectile d'hier.

Marie-Anne semblait comprendre, elle n'était plus sous l'effet du vin et elle comprenait. Mais au moment où le couple était sur le point de se réconcilier, une voix féminine se fit entendre sur la ligne.

"Oublie la, je suis là moi."
" David, qui est là?" demanda Marie-Anne.
"Je sais pas." répondit-il.
"C'est ta maîtresse? C'est pour ça que tu ne voulais pas me faire l'amour, tu en as trouvé une autre pour le faire à ma place!"

Marie-Anne fut hystérique et insulta David de tous les styles possibles, qui ne cessait de nier qu'il avait une maîtresse. Puis Marie-Anne termina avec.

"Tu vas le regretter, David!" elle raccrocha.

David eut une journée horrible et quand vint le soir, ce fut à contre cœur qu'il quitta son boulot. Il ne cessait de pensé à Marie-Anne, tout cela à cause d'une figurine. Il regretta quasiment d'avoir acquis cette statue. Alors qu'il cogitait tout ça, sa conception de la situation changea. Ce n'est pas la faute de Roxanne, si Marie-Anne est dans cet état! C'est de sa faute à elle, si elle pouvait m'écouter avant de réagir de la sorte, tout serait résolu! Pourquoi en voudrais-je à Roxanne ou à moi-même? David passa du chagrin à la colère et se rendit chez lui, le plus vite qu'il put. En arrivant, il se rendit au petit bar dans son salon et attrapa une bouteille de whisky et un verre. Il le remplit et le vida, puis quelques secondes plus tard, recommença. Puis il resta près de la fenêtre, engloutissant le whisky jusqu'à ce qu'il ne soit plus capable de tenir la bouteille. D'un pas chancelant, il se rendit au canapé et se laissa tomber pitoyablement.

"Marie-Anne!" brouilla-t-il. "Pourquoi m'as-tu fais ça? Je t'adorais moi ! Oh ! Oui que je t'aimais. Je suis seul, là. Il ne me reste plus rien."

David se redressa et aperçu Roxanne toujours aussi immobile sur la table. Il la saisit et la plaça sur sa cuisse.

"C'est toi, la femme idéale! Magnifique et silencieuse! Jamais tu me tromperas, ni me crieras dessus, tu me coûteras plus jamais un sous ou tu en douteras pas de ma parole. Si tu pouvais comprendre ce que je te dis."

La vue brouiller par l'alcool, David nota quelque chose qu'il n'ait jamais vu. Roxanne bombait les lèvres, comme si elle était prête à recevoir un baiser. N'ayant plus toute sa tête, David approcha la petite figurine de son visage et y déposa un tendre baiser. Puis il la reposa. David prit conscience de son geste et en fut amusé. Il éclata de rire. Soudain une étrange sensation dans sa gorge se fit sentir, il arrêta de rire promptement.

Ce fut d'abord comme une démangeaison, puis comme une brûlure. David eut de plus en plus de difficulté à respirer et porta ses mains à sa gorge. S'étouffant, cherchant à crier à l'aide. David tomba sur le sol et il fut prit de convulsions violentes et suivit d'intenses souffrances. Une dizaine de minutes plus tard, il fut prit d'une violente nausée et vomit sur le plancher. Il fut désorienté pendant quelques instants puis, s'éteint.

Le lendemain on le retrouva sur le sol, sans vie. Tout de suite on pensa à l'empoisonnement. Lorsqu'on découvrit le cadavre, on remarqua immédiatement sur ses lèvres deux petites taches noires, comme du charbon.

Personne ne remarqua un deuxième petit symbole gravé à l'intérieur de la cuisse droite. Un deuxième symbole pour une deuxième victime.

Karole McDowell 2000-2010 - (c) Toute reproduction est interdite sans l'autorisation de l'auteure.

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